Par Miguel Brichant
Scoville, vendredi 27 juillet 11 h 45. Déjà en retard, espérons que ce n’est pas de mauvais augure. Direction Grimbièmont pour passer prendre “Parrain”, alias Alex, compagnon de chambrée pour la 3° année consécutive (REV , Paris-Brest-Paris et REV). Il est cool, en train d’arroser des fleurs, très relax .... tellement relax que quelques kilomètres plus loin il se rend compte avoir oublié ses manchettes. Nous sommes donc à l’affut d’un Décathlon mais arriverons à Luxeuil sans avoir rien vu. Trajet assez éprouvant (ambiance sauna) car, malgré un entretien réalisé mi-juillet, la clim ne fonctionne plus. Accueil à l’abbaye où nous retrouvons dès la descente de voiture Alain Nizette et son épouse Christine, arrivés une demi-heure avant nous. Alex apprend qu’au bourg voisin il y a un vélociste. Nous remontons dans le four à 4 roues et tournicotons un bon quart d’heure avant de trouver le magasin (et dire que le lendemain nous devrons trouver notre route pour 600 km !!) où Alex déniche quand même une paire de manchettes ..... soldée pour les participants du Rev.
Repas convivial à l’abbaye avec les participants et accompagnants, retrouvailles de quelques français sympas, ..... et nuit torride, réveil vers 5 h du matin à cause du bruit causé par ....... une drache, qui n’a rien à envier à notre drache nationale (et impression d’être déshydraté, c’est un comble!!). Déjeuner un peu lugubre pour cause de drache continue, ciel bouché ..... Alex est content d’avoir acheté des manchettes mais annonce la couleur : si la météo est trop mauvaise après le ballon de Servance, retour à la case départ (il a déjà eu son quota d’eau en juin). Alain et moi repensons aux averses de grêle de Liège-Bastogne-Liège : au moins ici, il fait chaud.
Cette année les 46 départs se font en mode individuel, toutes les 3 minutes. Les randonneurs à partir de 7 h, les ultras sans assistance dès 8 h, les ultras avec assistance 9 h, les duos à 9 h 45 et finalement les 420 km sans assistance après 11 h. Le tirage au sort me fait partir en tête du TDL : 8 h 06, juste devant Alain alors qu’Alex démarre à 8 h 24. Il y a deux ans, j’avais terminé hors délai avec les derniers contrôles fermés. Cette année j’espère évidemment faire mieux, mais je suis fatigué (mauvaise nuit et je n’aurais peut-être pas dû aller aux ballots jeudi), la météo est incertaine, le trajet plus long avec une 3° ascension du Ballon d’ Alsace et avec mes 77 kg pour 1,77 m, je sais que je ne serai jamais un grimpeur.
Géromine (la responsable informatique) me donne le départ, c’est parti et miracle, il ne pleut plus. Deux petits cols pour commencer (Mont des Fourches et Croix), mais la route a été refaite, il y a plein de graviers, cela ne rend pas, j’ai l’impression de mal grimper, je ne rentre pas dans le rythme (impression confirmée au 1° ravito par d’autres participants, ouf je suis rassuré). Première montée du Ballon de Servance : je me sens mieux et apprécie la montée, même si je me fais dépasser par Rémi (le vainqueur en 2010) qui m’avoue avoir pris involontairement un raccourci au départ (il n’a bien sûr pas besoin de cela pour faire un chrono !!!) et sur la fin de l’ascension par un ovni, ce doit être Eric Leblacher Dans la fin de la descente je rattrape Pascal, un cycliste qui doit en être à sa 5° tentative. Col de la Chevestraye et 2° passage au ravito du col des Croix, où je retrouve Christine qui me donne des nouvelles d’Alain. En route pour la première ascension du Ballon, montée régulière ponctuée tous les km par un panneau annonçant le km suivant à 7 %. En 2010 j’avais monté trop vite, cette fois je fais gaffe, d’autant qu’il fait lourd. Ravito abrité au sommet, 120 km d’accomplis pour 2500 m de D+. Je repars et croise Pascal !?! (j’apprendrai plus tard qu’il a choisi de tenter le 420). Magnifique descente sur Sewen pour faire une boucle moyennement vallonnée avant de revenir au ravito par Giromagny. Je dépasse d’autres Reveurs avant Masevaux où j’entre juste après une averse. Je cherche le panneau itinéraire poids lourds, le trouve, freine et tourne au dernier moment, bardaf c’est l’embardée : je glisse sur la peinture d’un passage piéton. Porte-bidon et bracelet de la montre éclatés, genoux en sang mais heureusement pas de trafic. Je trouve la broche manquante de mon bracelet, réussis à la remettre et repars avec 1 bidon dans le maillot. Au bourg suivant (Giromagny?) je déniche un commerce vélo - moto - tondeuse; pas de chance, ils n’ont pas de porte-bidon. Pendant ce temps je me suis fait dépasser et j’attaque la 2° ascension du Ballon avec des cyclistes en point de mire, me fais dépasser, en rattrape d’autres sur la fin, c’est un peu animé.
Au ravito Jean-Claude se rend compte immédiatement de ma chute, on discute sur l’opportunité de trouver un vélociste et je me dis que je roulerai ainsi jusqu’au Markstein où je récupérerai mon sac à dos, Christine veut me désinfecter mais je refuse ( j’aurais peut-être dû accepter car à la tombée de la nuit mon genou gauche sera toujours en sang). A ce moment, Jean-Claude Arens crie “où il est celui qui a cassé son porte-bidon? Didier Miranda en a un dans sa camionnette”. Incroyable, quelle assistance technique sur ce REV !!
Je repars donc avec mes 2 bidons sur le vélo. En 2010, Alex m’avait dépassé pendant que je me ravitaillais; de même, Aloyse, un gars très sympa avec assistance, m’avait rattrapé à la sortie de Thilot. Cette fois je n’ai vu ni l’un ni l’autre, je suis donc en progrès. Quelques petits cols avant d’entamer les 14 km qui mènent au Markstein, avec l’impression d’être collé sur la route. Je regarde le compteur : les 2 premiers kilomètres sont montés à du 7 km/h, pas terrible. Heureusement la fin est plus roulante, j’atteins même les 14 km/h. Vue magnifique au sommet mais immense déception au contrôle : Christine m’apprend que Alain veut abandonner, il ne se sent pas bien, a dû s’arrêter deux fois dans la montée du Ballon. Pendant que je récupère mon sac à dos et m’équipe pour la nuit, elle reçoit d’ailleurs un coup de fil : Alain est au pied du col et l’attend. Je repars pour la route des crêtes, toujours aussi magnifique au coucher du soleil et à la bifurcation vers la route des Américains, Alain et Christine sont là pour m’encourager. Il n’a pas l’air trop déçu. Je réalise que je suis suivi à une centaine de mètres par un rêveur, bizarre, jusqu’à présent soit je rattrape des cyclistes, soit je suis dépassé, mais il reste à la même distance, sans doute me laisse-t-il choisir la route.
Manque de bol : mon garmin n’affiche plus la route, il est calé et l’écran tactile ne répond plus. Quand je pense au temps qu’il m’a fallu pour tracer la route, je vais sans doute devoir terminer avec mon mini roadbook calé dans le cuissard. Après le col des Feignes je m’arrête à un carrefour pour ma première pause pipi depuis le départ (ais-je bu assez?) et j’en profite pour allumer mes lampes. Le gars me rejoint et me dit faire le 420 et devoir aller à la Schlucht. Je lui explique la route sans lui dire qu’il n’aurait pas dû me suivre dans la route des Américains, je ne veux pas lui donner un coup au moral. Petite vallée assez vallonnée et très sympathique à la tombée de la nuit : nombreux restaurants, vacanciers autour de barbecues qui proposent un verre, chalets illuminés et qui ont l’air bien chaleureux, je me prends à penser que je pourrais y être avec ma femme et les enfants ... J’entame le col du Bonhomme dans le noir total pour reprendre la route des crêtes.
Le compteur est définitivement inutile, il n’affiche même plus la vitesse, impossible de l’éteindre et de le rallumer.
C’est néanmoins agréable de rouler la nuit dans les Vosges : très peu de voitures, on peut rouler au milieu de la route, on voit du gibier, même une chouette debout sur l’asphalte qui a l’air aussi surprise que moi. Ravito du col du Calvaire, une apparition féerique dans la nuit : le sourire de Géromine qui m’apprend qu’il y a encore une quinzaine de concurrents derrière moi. Le temps de manger des pâtes, d’autres Rêveurs arrivent mais pas Alex ni Aloyse et je repars pour la Schlucht. La descente vers Munster est mauvaise, je perds une lampe (heureusement que les led lenser sont solides!) et dépasse un cycliste juste avant de tourner à gauche pour aller chercher le col du Wettstein. Montée agréable mais parsemée d’éclairs, aurais-je le temps de basculer au sommet avant que l’orage n’éclate? Le sommet est là, je prends à droite vers le collet du Linge et puis j’ai un doute : ne fallait-il pas passer d’abord par Orbey? Je m’arrête pour vérifier : si, il fallait aller tout droit !!! Demi-tour, cette fois c’est sûr, je n’échapperai pas à l’orage. Merde, il éclate au début de la descente. Pluie diluvienne, éclairs, foudre qui semble tomber près, je décide de m’arrêter et inspecte les environs à la recherche d’un abri : rien, absolument rien! Je mets mon Kway, bâche le sac à dos, éteins les lampes et m’accroupis dans le bois, en-dessous d’un arbre, avec pour objectif immédiat d’éviter que les gouttes ne coulent dans ma nuque. Une heure plus tard, le bruit d’eau est toujours là, même si l’orage est parti. J’envisage l’abandon mais comment faire pour rentrer à l’abbaye? Si je rejoins le ravito du collet du Linge, auront-ils une place pour moi???? Soudain une lueur : un cycliste suivi par une voiture avec gyrophare.
J’allume ma lampe de poche pour voir s’il est vraiment inconscient de descendre par ce temps et me rends compte qu’il ne pleut plus (depuis combien de temps?), le bruit continu d’eau était celui d’un petit torrent, j’ai pas l’air con!!!!! Je sors de mon trou, rallume toutes mes lampes et vois que le cycliste s’est arrêté (il a vu ma lampe). Il me demande si tout va bien, je le rassure et quelle joie de voir que mon accent me trahit : “Miguel, c’est toi?” Aloyse m’a enfin rattrapé, Clarisse s’excuse de ne pas m’avoir vu (normal, j’étais bien planqué dans le noir) et nous descendons l’un à côté de l’autre (règle du no drafting) en profitant des phares pour éviter les nombreuses coulées de boue et de graviers, ainsi que les batraciens de sortie. Enfin le Collet du Linge, les bénévoles ont aussi dégusté pendant l’orage. 372 km. En 2010, je n’avais eu qu’un seul ravito ouvert pour le reste du raid. Je suis dans les temps pour le prochain au Petit Ballon. Descente sur Munster dans les mêmes conditions et là problème : on ne trouve pas la route de Soulzbach. Aloyse demande le chemin à un autochtone mais arrêt quelques kilomètres plus loin : on est perdus. 3 têtes se penchent sur la carte et je vois un fin trait qui monte au Petit Ballon. Je m’entête et parcours toutes les petites rues d’un village avant de dénicher l’indication. Ayant des mauvais souvenirs de ce col, je conseille directement à mon compagnon de nuit d’y aller sans s’occuper de moi. Il fait jour lorsque je sors de la forêt et aperçois le camion ravito (403 km pour 7888 m de D+). Ce col est décidément une saloperie, j’arrive en disant à Aloyse que je suis cuit, il repart donc quelques minutes après mon arrivée sans plus s’occuper de moi (en fait il me laisse sa chaise car c’est un peu exigu et il y a du monde, dont un Rêveur allongé dans une couverture, je crois qu’en fait il n’est pas reparti). Vue magnifique sur la fin de l’ascension qui me rappelle la côte de .....
Deux cyclistes sortent de la forêt lorsque je repars pour la descente dans laquelle je suis surpris de dépasser Aloyse qui est super prudent, avant d’attaquer le Platzerwazel. Aloyse me redépasse et je comprends que je ne le verrai plus avant Luxeuil, car je commence à souffrir du syndrôme PPP : Petit braquet, Petite vitesse, Petit moral, sans parler de mes genoux qui commencent à être douloureux (séquelles de la chute de la veille?) Et là je vis quelque chose de très bizarre et déroutant : je m’assoupis une fraction de seconde sur le vélo. Malgré mes 3 Paris-Brest-Paris et de nombreux BRM je n’avais jamais compris comment des gens pouvaient s’endormir sur le vélo. Maintenant je sais ce que cela fait, même en pleine ascension !!!!
S’ensuit la montée vers le Grand Ballon pour arriver au ravito du Col Amic (442 km pour 8917 m de D+) où m’attend un message d’encouragement d’Alain “Plus que 170 km, courage!” Je n’ai pas vraiment le temps de me reposer car je récupère un sac, retire mes éclairages et certains vêtements dans une atmosphère de rush : le Tour d’Alsace doit passer ce dimanche, les routes vont être fermées à la circulation, les bénévoles lèvent le camp. Nous devons faire une boucle de 35 km, nous ne savons pas bien si nous pourrons passer. Clarisse part devant et me confirmera par sms que je peux risquer, je décide donc de faire la boucle. A ce moment Alex arrive, il préfère s’arrêter manger un peu plus loin. Je fais le tri entre ce que j’emporte et ce que je laisse et tente de rattraper Alex. Hélas, dans la précipitation et la fatique j’ai oublié de prendre la deuxième partie de mon mini Roadbook. Arrivé à Watwiller, je débouche sur un T. C’est la bonne départementale, mais faut-il aller à droite ou à gauche? Je prends à droite (souvenir de 2010), il fallait prendre à gauche. Demi-tour donc pour aller à Wuenheim. Sensation étrange de pédaler en plaine après avoir tant caracolé dans les cols. Wuenheim, déviation pour travaux, je la suis mais aboutis derrière les travaux, toutes les routes étant voies sans issues, même celle nommée route du col Amic. J’essaye de trouver quelqu’un mais il semble que tout le monde est à la messe. Je déniche finalement un habitant à une fontaine : je dois faire demi-tour jusqu’au dernier panneau déviation que je n’aurais pas dû suivre. Belle route sinueuse et régulière pour remonter au col Amic mais je n’ai pas vu Alex, avec tous ces détours je ne le reverrai plus. Mes genoux sont de plus en plus douloureux. A l’emplacement du contrôle, les bénévoles sont bien entendus partis mais Patrick Bassompierre mange, entouré de sa famille. Je demande mon chemin pour la suite et sa soeur me donne très gentiment les 4 dernières pages du Road Book officiel que j’emporte dans mon maillot. En route pour Masevaux et la troisième ascension du Ballon par Sewen je me fais dépasser par Patrick, impossible de suivre son rythme à distance, je le vois disparaître à l’horizon. L’ascension se déroule dans une drôle d’effervescence : spectateurs qui se massent sur les côtés, caravane publicitaire et finalement voiture de tête qui me dépasse au sommet en annonçant “voici le premier coureur ...... non c’est une blague”. J’avoue avoir perdu le sens de l’humour à ce moment, mais je peux souffler, je suis passé avant que la route ne soit bloquée. Descente prudente sur Giromagny (bras et mains ankylosés par manque d’habitude de descente de cols, d’autant qu’il a fallu freiner beaucoup sur les routes mouillées) et grosse frayeur dans l’un des derniers virages : une voiture aborde le tournant sans réaliser que c’est une épingle à cheveux et termine donc son virage .... sur la bande de gauche!!! Je ne pense pas qu’il y ait eu un mètre entre elle et moi!!! Direction Plancher Bas et désillusions : je n’arrive plus à grimper la moindre bosse tellement j’ai mal aux genoux. Arrêt sur le côté pour prendre mon gsm et voir qui pourrait venir me chercher en voiture. Alain est rentré à Marche mais m’exhorte à continuer, Alex en a encore pour 2 bonnes heures avant d’atteindre Luxeuil (il est à 15 km devant moi mais je n’ai plus aucune notion du temps). Je contacte les contrôleurs de Plancher les Mines pour m’assurer qu’on m’attend, j’envisage de rentrer avec eux mais Claude m’encourage en me disant que je suis prêt du but. Je repars pour rejoindre le ravito et me rends compte que l’arrêt et la marche sur le côté de la route ont débloqué quelque chose. Au ravito petite discussion par gsm avec Jean-Claude car il est clair que le Ballon de Servance sera un calvaire, j’arriverai hors délai. Je continue quand même, braquet minimum, je m’arrête 2 fois dans l’ascension pour marcher, et au sommet (11600 m de D+) je retrouve Claude qui m’attendait pour être sûr que je pourrais terminer. Je crois avoir battu le record de la lenteur pour ce col et entame la descente vers Luxeuil. En route le gsm sonne : Alex est arrivé et demande s’il faut venir me chercher. Je continue en étant conscient des dangers : un Rêveur a chuté à Esmoulières (petit tour aux urgences) et Alex a crevé 2 fois en 20 km. Je me surprends à pouvoir repasser le grand plateau pour terminer et arrive à l’abbaye à 20 h 55, tout le monde est attablé mais ma puce sonne en passant la ligne d’arrivée. J’entre dans la salle alors que Jean-Claude, Aloyse, Géromine et Alex viennent à ma rencontre, que tous les convives se lèvent pour applaudir (le fils de Jean-Claude, contrôleur du Petit Ballon, m’accueille en criant “voilà j’suis cuit”). Quel moment !!!! et quel final : il m’aura fallu 12 heures et des poussières pour faire les 170 derniers km, je suis 18° et dernier en 36 h 55 (près de la moitié d’abandons) et hors délai mais j’ai terminé. Personne n’a tenté la boucle supplémentaire de 120 km, Eric Leblacher a gagné en 24 h 18, Aloyse termine en 33 h 07 et Alex en 35 h 17. Quand je pense que pour la même distance j’ai viré à Brest l’été dernier en 25 heures !!!! La fête aurait été complète si nous avions terminé à 3, peut-être une prochaine fois?
Vivement une bonne bière belge. Hélas, le café que nous avions repéré il y a deux ans est fermé après 22 h. Nous attendrons le lendemain pour déguster une bière bien méritée à Martelange.
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